Fin du schisme des PCM et abandon de l’onction du juge : bouleversons à tout moment, avec retenue.

Conseil d’État, 26 juillet 2022, Mme D., n°437765 (A) :

7. En premier lieu, l'autorité compétente, saisie d'une demande en ce sens, peut délivrer au titulaire d'un permis de construire en cours de validité un permis modificatif, tant que la construction que ce permis autorise n'est pas achevée, dès lors que les modifications envisagées n'apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.

Voilà un arrêt qui va en faire couler de l’encre chez les praticiens du droit de l’urbanisme.

Reprenons (très) rapidement l’historique des permis de construire modificatifs.

Le permis de construire modificatif (PCM) est né d’une circulaire du 16 mars 1973 et cette faculté a été admise par le juge en raison des droits acquis que le pétitionnaire tient de son permis de construire initial devenu définitif, mais en y posant des limites (Conseil d’État, 26 juillet 1982, Le Roy, n°23604, A) :

Cons. que le permis de construire demandé par M. R... tendait à modifier un précédent permis dont il était titulaire et qui l'autorisait à construire un hall de stockage industriel sur un terrain situé sur le territoire de la commune de Bruz ; que les modifications projetées étaient sans influence sur la conception générale du projet initial ; que, par suite, c'est à tort que l'administration a tenu la demande de permis modificatif présentée par M. R... pour une demande de nouveau permis ; que si le dispositions des articles NA1 et NA2 du règlement annexé au plan d'occupation des sols de la commune de Bruz, lesquelles sont entrées en vigueur postérieurement à la date de délivrance du permis de construire initial mais avant celle du permis modificatif ne permettaient plus la construction d'un hall de stockage industriel sur le terrain du demandeur, le préfet ne pouvait légalement, sans méconnaître les droits que tenait M. R... du permis de construire antérieurement délivré et devenu définitif, lui refuser pour ce motif l'autorisation d'apporter au projet des modifications qui, ayant notamment pour objet de réduire la surface du bâtiment, ne portaient pas à la nouvelle réglementation d'interdiction de construire une atteinte supplémentaire par rapport à celle résultant du permis initial ; que, dès lors, M. R... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté préfectoral du 20 juin 1979 ;

Les permis de construire (PC), devenus définitifs (ils ont passé la phase des deux mois de recours des tiers et du contrôle de légalité) mais encore en vigueur (ils ne sont pas caducs et ils n’ont pas été pleinement exécutés), pouvaient donc être modifiés mais à la condition qu’ils ne modifient pas la conception générale du projet.

La terminologie deviendra plus tard l’économie générale du projet, notion qui donnera lieu à de longues discussions avec des conceptions plus ou moins larges de la notion en fonction des juridictions.

L’enjeu est que si le PCM déborde, il devient un permis de construire nouveau.

L’enjeu de la qualification PCM/PC nouveau est de connaître la règle applicable : jusqu’à loi ELAN de 2018, un terrain d’assiette ne pouvait comporter qu’un seul PC. Un PC nouveau impliquait donc l’abandon du PC précédent au profit du permis de construire nouveau (Conseil d’État, 6 juillet 2005, Corcia et association des riverains des Hespérides et du Mourre-Rouge, n°277276, (A)).

Or, en cas de PC nouveau, il doit correspondre en son entier aux règles applicables aux sols à la date à laquelle il est accordé.

S’il s’agit d’un PCM, seule la portion qui est modifiée par le PCM doit correspondre aux règles d’urbanisme applicables à la date à laquelle le PCM est accordé.

La régularisation avant que le juge ne se prononce

Le PCM est également devenu un outil de régularisation des vices dont était entaché le permis de construire initial (Conseil d’État, 9 décembre 1994, SARL SERI, n°116447, (B) ; Conseil d’État, 2 février 2004, SCI La Fontaine de Villiers, n°238315, (B)) .

Dans un cadre contentieux, un moyen visé par le requérant portant sur le permis de construire initial, qui a fait l’objet d’une régularisation par le biais d’un permis de construire modificatif, devient inopérant (Terme technique qui signifie grossièrement : “c’est peut être vrai mais c’est à côté de la plaque”).

La régularisation post-jugement

En parallèle, le législateur met en place des mécaniques de régularisation dans un cadre contentieux. Ainsi l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme, dont la première mouture date de 1994 et est reproduite ci-dessous, permet au juge de surseoir à exécuter une décision, pour permettre la régularisation du permis de construire :

Dans toutes les instances en matière d'urbanisme, les présidents de tribunal administratif, les présidents de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris et les présidents de formation de jugement des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel peuvent, par ordonnance prise au terme d'une procédure contradictoire, octroyer ou refuser le sursis à exécution d'une décision.

Cet article permet au juge de limiter les conséquences de l’annulation d’un permis de construire à des portions détachables de cette autorisation. Ainsi, prenons l’exemple d’un immeuble qui dépasserait une limite fixée à 10 mètres de 7 cm, le juge pourrait annuler le permis de construire, en tant qu’il dépasse la hauteur permise.

À charge pour le pétitionnaire de déposer un permis de construire modificatif pour régulariser cette situation.

Ce n’est toutefois possible que si la modification peut être régularisée par un PCM, ce qui implique que même si les éléments régularisés n’ont pas besoin d’être matériellement détachables du projet de construction, les travaux ne doivent pas être achevés et la modification ne doit pas porter pas atteinte à l’économie générale du projet (Conseil d’État, 1er octobre 2015, Commune de Toulouse ,n°374338, (A)).

Régularisation dans le cadre du contentieux

L’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme fait son apparition en 2013. Il permet au juge de constater une ou plusieurs illégalités, de surseoir à statuer et de fixer un délai pour permettre au pétitionnaire de régulariser son autorisation et de vérifier que cette autorisation est devenue conforme aux règles d’urbanisme applicables au terrain d’assiette.

Le 15 février 2019, le Conseil d’État précise qu’un contentieux qui viserait le permis de construire modificatif alors qu’un contentieux contre le permis de construire initial est en cours, devra avoir lieu dans le cadre de ce même contentieux (Conseil d’État, 15 février 2019, Commune de Cogolin, n°401384, (A)).

Le législateur le reprendra dans l’article L. 600-5-2 du code de l’urbanisme.

L’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme prend une très grande importance à partir de l’avis M. Barrieu (Conseil d’État, Avis, 2 octobre 2020, M. Barrieu, n°438318 (A)). À partir de cet avis, on distingue PCM, qui ne peut pas modifier l’économie générale du projet initial et permis de régularisation. Le permis de régularisation peut changer l’économie générale du projet mais il ne peut pas apporter un bouleversement qui changerait la nature même du projet.

Le point de distinction est l’onction judiciaire. Le permis de régularisation est nécessairement soumis au juge qui en valide le contenu dans le cadre de son jugement, ce qui justifie qu’il permette des modifications plus importantes.

Régularisation par modification des normes applicables à la parcelle

Le Conseil d’État avait indiqué en 2018 qu’un PCM permettrait de tenir compte d’une modification des règles d’urbanisme qui a eu lieu entre temps, sans qu’il ait besoin d’apporter une quelconque modification au projet lui-même (Conseil d’État, 7 mars 2018, Mme Bloch, n°404079, (A)).

En 2020, le Conseil d’État se passera même du PCM pour vérifier si le PC est régularisé par de nouvelles disposition d’urbanisme entrées en vigueur et applicables au terrain d’assiette (Conseil d’État,3 juin 2020, SCI Alexandra, n° 420736, (B)).

Ce bref rappel permet donc de mettre un peu en perspective la digue qui a sauté : un permis de construire modificatif, peu importe qu’il ait lieu dans un cadre contentieux ou non, permet désormais au pétitionnaire d’apporter une modification majeure à son projet.

Une limite reste constante : le PCM n’est possible que si les travaux ne sont pas achevés.

Alors qu’en penser?

J’ai tout d’abord hâte de pouvoir lire les conclusions du rapporteur public qui ne sont malheureusement pas en ligne.

Il faut distinguer deux hypothèses : la première, le permis de construire initial est purgé, le pétitionnaire peut y apporter les modifications qu’il souhaite sans se soucier de savoir si le permis de construire modificatif modifie l’économie générale du projet. Cela apporte une souplesse au constructeur qui n’a pas besoin de tout reprendre à 0.

L’abandon de la jurisprudence Corcia (Conseil d’État, 6 juillet 2005, Corcia et association des riverains des Hespérides et du Mourre-Rouge, n°277276, (A)) par la modification de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme par la loi ELAN emportait déjà une réduction importante de la prise de risque que constituait le dépôt d’un PCM trop optimiste.

La modification d’un projet, tant qu’il reste conforme aux dispositions qui régissent les droits à construire sur tel ou tel terrain apparaît même être de bon sens et conforme à l’esprit du droit de l’urbanisme (la propriété est un droit fondamental, les limites apportées par la législation doivent donc être limitées à ce qui est nécessaire et proportionné à cet objectif).

La seconde hypothèse est plus problématique, pas tant pour son principe que les conditions générales de sa mise en oeuvre.

Cette seconde hypothèse est celle d’un PC qui fait l’objet d’un contentieux et qui peut donc être régularisé durant la procédure contentieuse ou à son issue en cas de mise en oeuvre par le juge de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.

Désormais, le pétitionnaire peut modifier plus largement son projet si le projet initial n’était pas régulier.

Cela implique qu’une personne ayant intérêt à agir va saisir le juge à un instant T contre un PC irrégulier. À l’issue du contentieux, il aura payé des frais d’avocat importants car la matière prend du temps, le projet aura été modifié de fond en comble et le juge le déboutera puisqu’à l’issue de cette procédure, le PC sera devenu régulier.

Ce requérant aura participé au respect du principe de légalité en assurant que le permis de construire qui était irrégulier, soit régularisé, mais à ses frais. Il n’a donc rien à y gagner mais tout à y perdre.

Le requérant est informé par son conseil que les facultés de régularisation de cette autorisation d’occupation des sols sont très larges et que les chances d’annulation sèche sont très limitées.

Cela a pour effet de dissuader la saisine du juge.

Un point de vue optimiste pourrait consister à se dire qu’on va pouvoir se concentrer sur les affaires les plus importantes, qui ne peuvent pas faire l’objet d’une régularisation.

Cependant cet argument perdrait de vue que les normes applicables à un terrain sont le fruit d’une politique d’urbanisme qui est mise à mal à chaque irrégularité.

Il faudrait que les infrastructures permettent de s’assurer qu’il y ait un contrôle efficace en amont des autorisations d’urbanisme.

Idéalement, il ne devrait y avoir que des autorisations d’urbanisme parfaites, des refus fondés et aucune irrégularité dans les autorisations accordées.

Toutefois, les services instructeurs ont souvent beaucoup de dossiers en cours, les personnels n’ont pas toujours la formation adéquate.

À cela s’ajoute le caractère volontaire de certains élus peu regardants sur le contenu mais qui souhaitent que tel ou tel projet puisse absolument voir le jour pour des raisons politiques.

De plus, le contrôle de légalité est généralement très mal pourvu en personnel et reçoit des tonnes de d’actes divers à contrôler en continu. Il n’est donc pas en mesure de fournir un contrôle réel de toutes les décisions relatives à l’occupation des sols.

La menace qui pesait sur les praticiens de l’urbanisme était donc le contentieux du voisin mécontent mais ce contentieux a fait l’objet de contraintes très importantes visant certes à calmer des abus mais qui ont eu pour résultat de dissuader tout le monde (Le piège du R. 600-1, la cristallisation des moyens, Czabaj…).

La réduction des menaces rend nécessairement le constructeur plus audacieux.

Il est tout à fait envisageable de voir des projets qui méconnaissent assez largement les dispositions d’urbanisme en prévoyant en plan B, en cas de contentieux, la régularisation du permis de construire initial.

Ce dernier arrêt n’est que la continuité d’une évolution jurisprudentielle vers la réparation des actes administratifs que je trouve à vrai dire assez logique et souhaitable.

Cet arrêt n’aura pas énormément d’influence pratique sur le contentieux puisqu'‘il ne fait que repousser un peu le curseur de l’évaluation des effets d’un PCM sur le projet initial.

Elle parachève en revanche l’évolution du contentieux de l’urbanisme qui est devenu réparateur et qui ne vise plus à sanctionner l’irrégularité par une annulation qui, sur le plan économique, était coûteuse.

Cette rigueur n’était finalement justifiée que par l’orthodoxie des juristes en droit public pour qui la légalité d’un acte administratif, en contentieux de l’excès de pouvoir, s’apprécie à la date à laquelle il a été pris et soit il est régulier, soit il ne l’est pas.

Compte-tenu de l’effet dissuasif, cette évolution vers une nouvelle souplesse devrait s’accompagner d’autres moyens d’assurer le respect effectif du droit de l’urbanisme et notamment une surveillance de l’instruction des permis, avant et après octroi du permis.

Pour assurer une balance pour les pétitionnaires, il pourrait être envisagé une vraie prise en charge des frais de procédure par le pétitionnaire en cas de contentieux menant à une régularisation (Pas uniquement une somme symbolique au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative).

En tout état de cause, une remise en balance des risques de chacun me paraît importante car s’il est légitime de s’assurer que les requérants ne cherchent pas uniquement à faire échec aux procédures de construction, il est tout aussi important de s’assurer que les normes ne soient pas édictées pour rien.

Ce risque vaut pour pour les permis de construire mais la fonction réparatrice du juge administratif ne s’y limite pas. En effet cette lame de fond provient du contentieux des PLU (Article L. 600-9 du code de l’urbanisme), s’étend aussi aux déclarations d’utilité publique (Conseil d’État, 9 juillet 2021, Commune de Grabels I, n°437634 (A), Conseil d’État, 21 juillet 2022, Commune de Grabels II, n°437634 (A)), au droit de l’environnement (Article L. 181-18 du code de l’environnement), etc.

Cette fonction réparatrice du droit administratif me paraît pragmatique et souhaitable mais elle impose de repenser le contentieux administratif pour inciter à ce que ces mécanismes n’aient pas qu’un effet dissuasif pour le requérant.

Je ne suis pas convaincu que les débats sur la notion de partie perdante pour l’attribution des frais irrépétibles au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative soient suffisants pour permettre de rééquilibrer réellement l’équation.

Ces réflexions ne restent que superficielles et je m’en excuse auprès du lecteur qui serait arrivé jusque là.

L’approche réparatrice du juge administratif modifie le rôle de la justice administrative et cette nouvelle place du juge pourrait interroger sur la place des avocats, leur mode de rémunération, l’opportunité d’une autorité indépendante administrative qui serait à l’initiative des contentieux par le biais de ces avocats en droit administratifs, etc.

Crédit image : Stocksnap

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